En finir avec « il-faut-préparer-l’après-thèse »

« Il faut préparer l’après-thèse pendant la thèse ». Cette phrase, je l’ai entendue la semaine dernière dans la bouche d’une des titulaires de mon laboratoire, lors de l’assemblée générale. Je ne sais plus à quel propos elle le disait. S’agissait-il de se tourner vers des sujets de recherche sexy et bankables pour obtenir des financements ? Faire de la prospection des contrats post-doctoraux ? Ou quelque chose de plus trivial ? Impossible de m’en souvenir. Seule cette phrase m’est restée en tête, parce qu’elle m’avait mise en colère.

Ces mots, ce n’est pas la première fois que je les entendais. Peut-être que je les ai lus dans un des manuels sur le doctorat que j’ai feuilletés, ou ailleurs. Peut-être est-ce quelque chose que mon directeur a déclaré lors du séminaire de ses doctorants, que j’écoutais d’une oreille, me sentant encore peu concernée par la question. Ou peut-être est-ce lorsqu’il m’a demandé si j’étais familière de telle thématique, parce qu’il pourrait m’inclure à un projet de recherche sur la question après la thèse. Peut-être était-ce la remarque d’une doctorante en fin de parcours, qui nous expliquait que finalement, l’après-thèse, ce n’était pas très différent de la thèse, le titre en plus et le statut en moins. Oui, puisqu’en dehors de laboratoires qui mettent en place des statuts de « chercheur associé » à leurs jeunes docteurs pour assurer la transition, une fois que vous êtes docteur, vous n’êtes plus rien d’autre. Vous n’êtes plus étudiant, mais vous n’avez pas de poste. Vous êtes quelque chose comme chômeur, mais votre travail n’est pas lié à la détention d’un poste, puisque c’est une vocation. Une fois que vous êtes docteur, vous n’arrêtez pas d’écrire des articles, de participer à des colloques, de faire de la recherche. Parce qu’après la thèse, il faut continuer à préparer l’après-thèse. Mais il faut bien une étiquette à mettre derrière votre nom.

Cet énième rappel qu’il « faut préparer l’après-thèse en thèse » m’a énervée, parce que je me suis demandée dans quel monde vivait cette titulaire. Elle croyait vraiment que nous autres, doctorant-e-s, n’en avions pas conscience, que nous ne l’avions pas déjà entendu cent fois, que ce n’était pas une de nos préoccupations ? que nous étions des gentils Bisounours qui sommes tellement absorbés par le Ciel des Idées que nous sommes incapables de regarder la dure réalité, la réalité bassement quotidienne ?

Le discours concernant la thèse et l’après-thèse est ambigu et fait d’injonctions contradictoires, comme il se doit. D’un côté, vous êtes incité à faire corps avec votre thèse. Vous devez penser thèse, manger thèse, dormir thèse. La thèse, cette parenthèse où vous vous concentrez pendant trois ans au moins de votre vie sur un sujet. Vous devez être incollable, avoir tout lu, envisagé tous les angles possibles, mobilisés toutes les méthodes imaginables. Vous devez être aussi irréprochable que possible sur cet objet que vous avez fait vôtre, tant en ce qui concerne l’angle d’attaque choisi que sur la manière de l’étudier. Une fois, mon directeur a déclaré « la thèse, c’est quand même la chance unique de vous consacrer exclusivement à un sujet de recherche, qui ne se représentera pas dans le reste de votre carrière ». Et cette incitation à ne faire qu’un avec son sujet est encore renforcé par les injonctions à ne pas faire des thèses trop longues, à tendre vers les thèses en trois ans, emballé c’est pesé. Vous devez vous concentrer sur votre sujet pour être efficace. Et vous êtes censé aimer ça.

Sauf que. Car d’un autre côté, il y a le discours de « c’est la crise », auquel tous les gens de ma génération (et sans doute un certain nombre de personnes plus âgées) ont droit. C’est la crise de la création de postes de maitre de conférences. N’espérez pas obtenir un poste définitif moins de quatre ans après avoir soutenu votre thèse, et encore moins en obtenir un qui colle exactement avec votre domaine de spécialité, dans lequel vous avez essayé de vous faire une réputation pendant cinq, six, sept, huit ans, parce qu’avec les temps qui courent on ne peut pas se permettre de faire la fine bouche. C’est la crise des financements : n’espérez pas faire un post-doctorat sur un sujet que vous avez choisi, vous devrez vous adapter aux impératifs de l’offre. C’est la crise des débouchés : le privé ne veut pas de vous et il y a une surproduction de doctorants par rapport à la capacité d’absorption du public. Vous l’avez compris, la compétition sera rude, comme partout ailleurs. Aussi, vous devez montrer votre valeur, pour pouvoir entrer dans l’arène. Vous devez donner des cours, parce que votre capacité à être embauché à un poste de maitre de conférences, d’enseignant-chercheur donc, jouera en partie là-dessus. En plus, c’est aussi l’occasion de faire connaissance avec une équipe, de vous forger un réseau. Et dans un tout petit milieu où l’évaluation est réalisée quasi-exclusivement par les pairs, Dieu sait que c’est important d’avoir un réseau. Vous devez participer à des colloques et publier des articles, parce que c’est ce qui montrera la valeur de votre travail de recherche (beaucoup plus que votre thèse, parce que personne ne se fardera les 3 000 pages que vous avez pondu à moins d’y être obligé). Et évidemment, il vous faut au moins une publication dans la revue-phare de votre spécialité. Par les temps qui courent, publier en anglais et/ou dans des revues internationales va sans doute devenir de plus en plus un pré-requis. Si vous pouvez en cosigner un avec un ou plusieurs auteurs, c’est mieux, ça montre votre capacité à travailler en équipe. N’oubliez pas d’organiser des événements scientifiques tant que vous y êtes : journée d’étude, séminaire de doctorants, atelier ou groupe de recherche… Bref, publish or perish, si vous ne rayonnez pas un peu, si vous ne vous rendez pas visible dans votre domaine d’étude, votre CV sera placé tout en bas de la liste lors des campagnes de recrutement. Mais prenez garde à ne pas trop en faire : déjà, vous devez finir votre thèse le plus rapidement possible. Ensuite, si vous faites trop d’enseignements (je ne sais pas si c’est possible, mais admettons), vous serez probablement perçu comme quelqu’un qui n’est pas intéressé par la recherche, et dans ce cas allez donner des cours au collège et laissez les adultes parler de choses de grands. Et bien sûr, si vous avez trop de publications, vous ne ferez visiblement pas un bon enseignant. En clair, commencez à préparer l’après-thèse le plus tôt possible parce que la concurrence est rude, mais n’oubliez pas qu’aussi reconnu que vous soyez dans votre champ, vous passerez vous aussi par la file d’attente de deux, trois, quatre ans, comme tout le monde, parce qu’il y a peu de postes et que le recrutement est de toute façon très aléatoire, et que ce sera le moment d’étoffer votre CV. Exactement comme avant, en fait.

Donc j’aimerai qu’on arrête de me dire que l’après-thèse se prépare en thèse. Comme si les doctorants étaient des enfants mal dégrossis qui souffrent d’hypermétropie et qu’ils s’imaginaient que la thèse était une fin en soi, qu’ils pensaient que le CDI leur tomberait tout cru dans le bec après leurs trois, quatre, cinq… années de labeur. Comme si on ne répétait pas en permanence que la thèse n’est pas un chemin pavé bordé de roses et que l’après-thèse c’est pire. Juste pour une fois, j’aimerais qu’on nous dise que ça va aller. Ou qu’il n’y a pas que l’université dans la vie, et que pour peu qu’on arrive à se vendre, on pourra faire de la recherche ailleurs, sous d’autres formes, et que ce sera cool. J’aimerai bien qu’on arrête de nous dire que rien ne sera jamais assez bien. On a toute l’après-thèse pour l’entendre.

A lire : La thèse – les causes collectives d’une épreuve personnelle

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