La reine rouge

Cette illustration tirée de De l'autre côté du miroir représente Alice tirée par la Reine Rouge, qui est en train de courir, Alice flotte au dessus du sol.
Illustration tirée de De l’autre côté du miroir, de Lewis Carroll

Comment on fait pour aller mieux ? Si j’avais la réponse à cette question, je serais riche. Sans doute il y a trop de réponses, et aucune qui ne corresponde à une personne en particulier. Sans doute que je connais déjà les réponses, mais que je ne suis pas capable de mettre en œuvre, ou bien que j’ai peur de ne pas être capable de les mettre en œuvre.

Des années de burn out c’est aussi des couches et des couches de voix qui ne sont pas les miennes, des couches de recommandations et de croyances qui m’éloignent de moi et maintenant je ne peux pas faire autrement que de porter un regard inquiet, précautionneux sur mes décisions : est-ce que c’est le bon choix ? est-ce que je devrais me ménager davantage ? est-ce que j’en ai vraiment envie ? qu’est-ce qui est le mieux ? est-ce qu’il y a une bonne réponse ? Dites-le-moi.

J’ai tout un arsenal pour aller bien, une boite à outils pour réparer ma tête et pourtant ça ne suffit pas, ou bien ça fait partie du problème, quand ces outils deviennent des fins et plus des moyens. Il y a dans « aller bien » une alchimie qui m’échappe, le produit subtil d’un mélange de vigilance et de lâcher-prise, une récompense et l’enfant de la chance, un arbre qu’on cultive sans garantie d’en goûter les fruits.

Les handis et les fols le savent, iels savent ce qu’il en coûte d’être, iels connaissent la comptabilité de la fatigue, toutes les choses qu’on retranche et le prix à payer de celles qu’on conserve, la peur d’en faire trop et les regrets. Iels savent aussi l’injustice, voir les autres qui s’amusent pendant qu’on se repose et pire que tout, la peur de trop s’écouter, de laisser gagner l’anxiété et toute l’énergie qu’elle draine, cette énergie si précieuse…

Et puis il y a la frustration de l’écart, entre la sérénité qu’on aimerait atteindre et le tumulte qui nous en sépare, quand on sait ce qu’il faut faire pour aller mieux, il suffirait de tendre les doigts mais inexorablement il recule, les outils sont toujours plus beaux sur le papier, quand ils sont abstraits et désincarnés. Si seulement la prise de conscience suffisait. La colère de ne pas réussir, de ne pas franchir le pas, parce que ça fait mal ou parce qu’on a peur d’avoir mal.

Parfois la rechute. L’anxiété qui broie les poumons, qui fait feu de tous bois, qui martèle martèle martèle les côtes, la peur de déplaire, la peur de la gaffe, la peur d’exposer ça, de le donner à voir et de dégoûter, les tripes à l’air, la peur d’être l’artisane de mon propre malheur, l’anxiété qui chasse tout le reste.

Renoncer au progrès comme une courbe linéaire, accepter d’aller moins bien aujourd’hui qu’hier, que les choses qu’on pensait avoir réglées reviennent nous hanter, qu’on ira jamais bien une fois pour toutes, et qu’est-ce que ça veut dire de toute façon ?

Accepter la colère de faire du surplace, la honte d’avoir échoué à guérir, à incarner une version fonctionnelle, une personne que je ne suis pas. Accepter que c’est la première étape, qu’après il y aura encore du travail, le vrai travail : acceptation, lâcher prise, prise de risque… Mettre le cadre pour se sentir en sécurité, les barrières qui permet de flâner. Apprendre à se faire confiance, et devenir unn bonn alliéé pour soi-même. Et puis, après avoir retranché, ajouter, refaire de la place pour ce qui fait plaisir, pour ce qui est simple, pour la curiosité, la découverte, la rencontre. Et comment on fait tout ça ?

Parfois je suis fatiguée de courir de toutes mes forces pour faire du surplace.

A lire aussi : acceptation et résistance de Pourquoi pas autrement

Laisser un commentaire